Gettysburg : l’histoire au présent
Chaque année, depuis 21 ans, les reconstituteurs de la Guerre de Sécession et les passionnés d’histoire vivante se donnent rendez-vous pour la commémoration de la bataille de Gettysburg où le spectaculaire se veut pédagogique.
Vivre l’histoire nationale
Les 5, 6 et 7 juillet 2019, le Gettysburg Anniversary Committee organise le 156e anniversaire du plus meurtrier des conflits de la Guerre de Sécession (1861-1865). Entre le 1er et le 3 juillet 1863, plus de 8 000 Américains ont vu leur sang couler pour la patrie divisée par une lutte idéologique. Les Unionistes, au Nord, veulent mettre fin à l’esclavage et promouvoir leur modèle économique industriel. Les Confédérés sécessionnistes, au sud, se battent pour conserver leur mode de vie fondé sur l’agriculture esclavagiste. La victoire des Yankees en 1865 fait des États-Unis le pays puissant qu’il est aujourd’hui bien que toujours porteur des stigmates d’un racisme endémique.
Commémorer et jouer
À l’origine, une poignée de passionnés du Gettysburg Anniversary Committee organisait la reconstitution de l’événement. Les membres de l’association sont maintenant plus de 400 et ont accueilli 200 000 visiteurs en 2018. Ceux-ci ont acheté leurs billets entre 39$ et 99$. À ce prix, ils veulent remonter le temps. Ainsi, le Comité veille à la qualité de l’immersion en scénarisant les trois jours de commémoration. Pour les 25 000 reconstituteurs confédérés ou unionistes, cantinières ou infirmières, le droit d’entrée costumé va de 15$ à 35$. Les places sont limitées pour les cavaliers qui devront s’acquitter de 35$ de droit d’entrée pour leur monture. Les propriétaires de canons, eux, devront payer 250$. Libre à eux ensuite d’interpréter qui ils veulent. S’il y a trois généraux Lee, qu’importe, l’aire de reconstitution grande de plusieurs hectares est si vaste qu’ils sauront bien se la partager. Le comité, qui considère que « les yeux de la nation et du monde sont sur [eux] », se réserve un droit de regard sur la qualité des costumes. Les reconstituteurs doivent porter des vêtements conçus sur des modèles du patron du XIXe siècle. Les nordistes sont sommés de porter les célèbres tuniques bleues. Les sudistes doivent privilégier les uniformes gris. Ils sont cependant un peu plus libres car les problèmes de ravitaillement en 1863 les obligeaient à se vêtir de guenilles rafistolées et parfois volées sur le cadavre d’un ennemi. Certains poussent le réalisme jusqu’à l’achat des boutons de vestes d’époque pour les coudre sur les leurs. Les porteurs de baskets, eux, se retrouveront nu-pieds et les femmes soldats mal grimées en hommes retourneront au campement.
Spectacle et Pédagogie
La reconstitution de Gettysburg est vendue comme une leçon d’histoire. Le comité n’hésite pas à dire qu’« il n’y a pas de meilleure manière de rendre ces poussiéreux livres d’histoire vivants ». Pour eux « les heurts des épées, le tonnerre des sabots et l’odeur de la poudre » valent tous les cours du monde. Ici, un jeune étudiant joue un Yankee car il n’envisage pas de se battre contre le drapeau. Là, un retraité dont les aïeux étaient sudistes se souvient, ému, de son passé familial quelque peu fantasmé. Pour l’historien Brian Jordan de Sam Houston State University, l’événement, s’il est spectaculaire, manque de pédagogie « les reconstituteurs peuvent parfois passer à côté de la réalité fondamentale de ce conflit lié à l’esclavage ». Il est vrai que le Gettysburg Anniversary Committee ne mise guère sur les documents pédagogiques offerts aux visiteurs pour faciliter leur visite. Aucun historien professionnel n’est sollicité pour veiller à la manière dont les informations sur la bataille seront transmises. Chaque reconstituteur est invité à raconter sa vision de l’événement aux curieux qui l’interrogeront. Les ateliers organisés par le comité n’ont, quant à eux, rien à voir avec une salle de classe non plus. Plutôt que d’apprendre aux enfants les enjeux politiques et économiques de la guerre, on place de fausses carabines entre leurs mains afin de les aider à se projeter dans la peau des soldats.
Pour une visite historique plus pointue du champ de bataille, il y a toujours le Gettysburg Ghost Tours organisé toute l’année. À défaut de voir de vrais fantômes, les visiteurs bénéficient d’excellents guides de métier car il n’est pas toujours aisé de vivre l’histoire et de la raconter simultanément.
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